La Table du Vingt-Deux

Le secret gourmand de Verbier

Texte
Claude Hervé-Bazin
Copyright
Christophe Voisin
Parution
Hiver 2023-2024

Bien camouflée au dos du Crock, derrière un mur de bibliothèque, la Table d’hôtes du Vingt-Deux déroule un menu gastronomique innovant et raffiné dans un cadre de speakeasy. Une adresse confidentielle mais déjà chérie des initiés — unique en Valais!

Au devant de la scène : The Crock. Le Crock No Name, plus précisément, bar préclub par excellence, dont l’un des mixologistes, Thibaut (charpentier d’origine !), a décroché début 2023 la palme du Verbier Bar Challenge face à huit concurrents (presque) aussi affutés. Question de technique. D’inventivité. De style aussi — cet inimitable style de Verbier, mêlant savoir-faire, savoir-vivre et savoir lâcher prise, épicés d’un zeste d’attitude à la cool. On y débute la soirée devant une carte de cocktails sélective et une farandole de tapas gastronomes tantôt voyageuses, tantôt ancrées dans le terroir valaisan.

Délit d’initiés
Il y a quelques années, derrière le bar, le boss, Pierre Jean Leclercq, récupère un local, ex-salon de tatouage. Qu’en faire? Un bureau? Pas vraiment utile. L’homme, épicurien, diplômé d’hôtellerie en Belgique, aime cuisiner pour ses amis et son staff. Et s’il lançait une table d’hôtes? Pas évident dans un lieu aussi riquiqui. Le concept, emprunté à l’Amérique de la Prohibition, du temps où les bars devaient se faire clandestins, coule pourtant de source : speakeasy. La paroi séparant le bar du resto devient le sas ouvrant sur un univers confidentiel. Derrière un mur de bibliothèque, c’est encore mieux.

22 rue des Creux. 22 convives. Le nom est trouvé. La cuisine (ouverte) s’installe d’abord face à deux grandes tables partagées, bientôt scindées en petites unités — intimité oblige. Dès le départ s’impose l’idée d’un menu à prix fixe, mettant en valeur le meilleur des produits locaux, dans une envie d’alléger l’empreinte carbone.

Carton plein. Le secret de la Table du Vingt-Deux se répand comme une traînée de poudre… Des chefs invités viennent mettre la main à la pâte. Mirto Marchesi, un copain, ex-capo du Chalet d’Adrien. Adam Bateman, du Lodge, le superchalet verbiérain de Sir Richard Branson. Thomas Vado désormais, un autre pote, débarqué du voisin Taratata, propulsé grâce à lui au Gault&Millau — et qui, flirtant avec les étoiles, vient d’attirer le 22 dans l’orbite du Michelin. Le Niçois, aussi DJ à ses heures, est un voyageur sélectif : Saint-Paul-de-Vence aux côtés de l’étoilé Alain LLorca, Courchevel, Ibiza, Café du Beau-Rivage à Lausanne, Verbier depuis 10 ans (via le W)… rien que de beaux lieux et de grandes maisons, rien que du beau monde.

Un mot d’ordre: proximité
Ici aussi, stars et royals défilent : le speakeasy, c’est le must de la discrétion. Rien de guindé au 22, pourtant. Le chef est là, juste là, l’ambiance tantôt animée, tantôt romantique, assurément amicale, rythmée par le défilé des plats en six temps. « Deux mises en bouche. Deux entrées. Plat. Dessert. Option fromage » détaille Pierre Jean. Côté cuisines, Thomas évoque ses origines méditerranéennes. Ses péchés mignons? Le poisson. Les légumes. «  Sublimer le légume, oui, ça me plaît beaucoup ! » s’enthousiasme-t-il. Au point de s’adapter très volontiers aux demandes des végétariens.

À la Table du Vingt-Deux, l’essentiel des produits sont valaisans ou suisses. Viandes. Poissons. Caviar et même crevettes bleues durables de Rheinfelden ! La Laiterie de Verbier fournit beurre et fromages, aux côtés de la Fromathèque de Martigny. Quant à la carte des vins, elle puise largement du côté de Fully et de Saint-Pierre-de-Clages. Un chouchou? « La Cave Saint-Ours, 100 % bio et tout en vieilles vignes, qui produit juste 300 bouteilles par an de Petite Arvine. C’est ça, aussi, qui est passionnant dans ce métier : trouver ces petits vignerons peu connus qui créent des produits d’exception », s’emballe Pierre Jean.

Le menu change toutes les deux à trois semaines. L’occasion, pour certains hivernants, de revenir… toutes les trois semaines précisément, histoire de ne pas en rater un seul de la saison ! Revers de la médaille, l’adresse fait presque constamment le plein. A minima, il faut booker un bon mois à l’avance… sauf à espérer que Pierre Jean aura conservé une ou deux tables pour les têtes en l’air, histoire qu’ils ne repartent pas dépités. Les habitués le savent, désormais : il faut être dans les starting-blocks, début novembre, puis début juin, pour réserver.

Le Crock No Name est ouvert du mardi au dimanche, la Table du Vingt-Deux du mercredi au dimanche soir, de 19h à minuit.

crock.ch