F.P. Journe

Libre comme un maître horloger

Texte
Yannick Nardin
Copyright
F.P. Journe
Parution
Été 2023

Pour les amateurs de montres, Genève a des allures de paradis, exceptionnel vivier de petites et plus grandes marques — certaines quasi des institutions, comme Rolex ou Patek Philippe. Talentueux outsider, François-Paul Journe, maître horloger originaire de Marseille, a su faire de son nom une référence. Ses créations, aussi rares que d’une excellence constante, font vibrer le cœur des collectionneurs.

La formule d’une montre de haute horlogerie ? Un bon zeste d’innovation, une grosse pincée de tradition et beaucoup d’esthétique, sans oublier bien sûr de la technique — à revendre. En la matière, chaque horloger expérimente sa propre recette, selon ses domaines de prédilection et ses aspirations. François-Paul Journe n’en fait aucun mystère : le XVIIIe siècle le fait palpiter, avec ses inventeurs hors pair comme Abraham-Louis Breguet auteur du génial tourbillon, ou Antide Janvier, dont une pendule orne l’entrée de la manufacture. François-Paul Journe a choisi de s’inscrire dans cet héritage porteur d’inspiration, de le préserver et de le faire vivre, pour « innover et sauvegarder, voire surpasser, les exigences de la haute horlogerie ». Grand défenseur de l’histoire et de la culture horlogère, il a même acquis aux enchères, en 2015, la bibliothèque spécialisée de l’expert Jean-Claude Sabrier, pour CHF 760’000. Nous voilà, assurément, chez un horloger qui a fait vœu d’exception.

De Marseille la belle à Genève l’horlogère
Des fées équipées de pinces brucelles et de loupes horlogères se sont certainement penchées sur le berceau de François-Paul Journe. Né en 1957 dans la cité phocéenne, il s’y passionne pour l’horlogerie dès l’âge de 14 ans, puis part pour Paris, où son oncle le forme à l’art de la restauration. L’occasion de redonner leurs pulsations aux plus belles merveilles du passé. Mais le jeune homme rêve d’horizons plus vastes, de toquantes plus immortelles. Devenu maître horloger concepteur, il crée des mouvements pour des marques horlogères. Le succès amène le Marseillais à fonder sa propre manufacture à Genève.

L’heure a sonné. Il est temps de donner de l’ampleur à sa passion, de révéler à un plus large public son art, sa vision, ses « garde-temps contemporains dont l’interprétation technique pourrait se targuer d’être authentiquement novatrice ». François-Paul Journe matérialise cet ambitieux programme en 1999. Son Tourbillon Souverain incorpore pour la première fois dans une montre-bracelet un mécanisme de remontoir d’égalité — prélude à une série de pièces d’exception. L’horloger dévoile aussi une collection de chronomètres signés F.P. Journe — Invenit et Fecit (du latin « inventé et fait », en d’autres termes, « de la conception jusqu’à la réalisation »). Voilà son nom élevé au rang de marque. Et le voici, lui, propulsé dans la galaxie des meilleurs horlogers indépendants contemporains.

La haute horlogerie libre
Jusqu’au-boutiste, François-Paul Journe reste « gardien en sa demeure » en tant que maître horloger en titre de sa manufacture. Il en supervise le développement sous tous ses aspects. Et conçoit ses montres comme des œuvres d’art horlogères, alliant technique et dimension créative. Amoureux et respectueux de la tradition, l’homme fait néanmoins appel à des matières innovantes, comme le tantale ou l’aluminium, et crée des mécanismes hors normes. La FFC (pour Francis-Ford Coppola, avec qui il trouva le concept d’affichage), par exemple, indique l’heure grâce à une main aux doigts animés.

L’horloger a l’intelligence de défendre sa liberté créative en s’assurant une enviable indépendance. F.P. Journe produit ainsi la quasi intégralité des composants nécessaires à la fabrication de ses montres, mouvements, boîtiers et cadrans compris. De nombreuses récompenses ont salué son travail — faisant carrément de lui l’horloger le plus primé au Grand Prix de l’Horlogerie de Genève, institution en la matière. En 2006, le Ministre français de la Culture lui a même décerné le titre de Chevalier des Arts et des Lettres.

Autre reconnaissance d’envergure pour F.P. Journe : lors des ventes aux enchères, ses modèles partagent, depuis des années déjà, la tête d’affiche avec des marques « stars » comme Rolex et Patek Philippe. Produites à raison de 900 exemplaires par an, ses montres, rares et intemporelles, équipées de complications tout aussi exceptionnelles, attisent les passions. En mai 2023, la maison Christie’s a d’ailleurs dédié à l’horloger toute une vente de 40 montres. Avec un record à la clef : celui du Tourbillon Souverain « Souscription » de 1999, adjugé pour CHF 2’707’000. Malgré ce succès en forme de consécration, l’horloger explique se méfier de la spéculation, et continue d’appliquer sa philosophie, sans en dévier : un investissement minime en marketing, mais majeur en matière de valeur horlogère.

fpjourne.com