
Cabotages lémaniques
Le patrimoine maritime genevois, à fleur d’eau
La Révolution industrielle amène la vapeur, la Belle Époque ses lignes pures et son envie de prendre le large. Dès le XIXe siècle, des dizaines d’embarcations sillonnent les eaux du Léman. Certaines sont encore là, invitant à de tendres périples.
C’est un Américain, homme d’affaires avisé et consul de son pays en France, qui, le premier, lance ses embarcations sur le lac Léman, dès 1823 — sur le modèle des bateaux à vapeur navigant alors déjà sur l’Hudson River. Desservant Ouchy depuis Genève via la Côte, le Guillaume Tell, tel est son nom, connaît d’emblée un engouement phénoménal, notamment avec ses croisières dominicales autour du lac. D’autres embarcations, adoptant coques en fer et chaudières à haute pression, lui font vite concurrence, précipitant la création en 1873 de la Compagnie Générale de Navigation sur le lac Léman — ancêtre de l’actuelle CGN. À cette époque, l’autre bateau d’Edward Church, un étrange catamaran aux deux aubes mues chacune par quatre chevaux (!), bruyant et peu efficient, a déjà pris sa retraite…
Les charmes de la Belle Époque
En 1896, à Genève, l’Exposition Nationale Suisse voit triompher le progrès, la foi en l’avenir et le beau. Sur l’eau filent désormais des perles mécaniques. Cinq ont survécu aux aléas du temps : les bateaux-salons Montreux (1904), La Suisse II (1910) et le Savoie (1914), puis le Simplon III (1920, récemment accidenté) et le Rhône III (1927). Autant de silhouettes longilignes et gracieuses, étirées sur 68 m à 78,50 m, à bord desquelles on embarque encore l’été pour de mémorables croisières.
Plus que la destination, c’est ici le voyage qui compte. Ce temps harmonieux à glisser sur le miroir des eaux, où la balade devient ballade, romantique. Devant une belle assiette, un verre, une fondue, ou à lézarder au soleil, sur les transats du pont supérieur, regard rivé sur les villas cossues du Petit-Lac, les vignes de la Côte, ses châteaux et les sommets du Chablais qui s’amoncellent à tribord.
Et les mouettes, alors ?
Rive droite. Rive gauche. Et, entre deux, le trait d’union des mouettes. Les Genevois adorent ces petites embarcations lancées en 1897 et sautent à bord à la moindre occasion. Et pour cause, en 5 à 10 minutes de traversée de la rade, la journée de travail s’agrémente d’un sympathique facteur aventure, embruns en proue.
Les ornithologues l’affirment : les mouettes sont fidèles. Celles du Léman aussi. Faisant leur nid sur les berges genevoises depuis plus d’un siècle, ces ferrys de poche (embarquant 40 à 60 passagers) ne manquent pas une journée d’allers et venues, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Leur point de ralliement ? Les Pâquis. De là, toutes les 10 minutes, une ligne dessert Molard, à l’orée du Rhône, et une autre les Eaux-Vives, à fleur de jet d’eau. Une troisième, moins fréquente (toutes les 30 mn) rejoint Port-Noir (plage) — d’où la navigation peut se prolonger jusqu’à la délicieuse parenthèse de verdure de la Perle du Lac. Tarif : 2 francs seulement.
Aux mouettes historiques, se sont récemment jointes deux embarcations électro-solaires de forme similaire, mais révolutionnaires — qui peuvent naviguer jusqu’à 13 h sans recharge. L’union parfaite de la tradition et d’un futur décarboné, au clapot atténué, avançant sans bruit. Presque comme en voilier.