
Les bisses pour guide
Randonnée à fleur de montagnes
Courant à travers alpages et forêts, les vieux chenaux d’irrigation aménagés par les anciens pour canaliser les eaux des torrents vers leurs vignobles et leurs vergers sont devenus fil d’Ariane de balades mémorables, souvent un peu vertigineuses.
Le mot, évident pour les Valaisans et les Romands, ne l’est pas pour tous les francophones. Un bisse ? Un étroit canal d’irrigation, griffé à force de volonté sur les pentes alpines par les villageois d’autrefois pour alimenter leurs abreuvoirs et étancher la soif de leurs cultures. Parfois entrecoupés de tunnels et de mines permettant de franchir des obstacles naturels ou passer d’une vallée à une autre, ces bisses restent souvent essentiels à l’agriculture locale — le Valais en compte 1’800 km ! Mais ils sont aussi devenus les voies privilégiées de randonnées partagées entre poésies, nostalgies et acrobaties…
Le bisse du Ro : spectaculaire !
S’il ne fallait en citer qu’un sur le Haut-Plateau, ce serait celui-là : le bisse du Ro. Tracé dès le XIVe siècle, remplacé dans sa partie supérieure par un tunnel creusé sous le mont Lachaux dans les années 1940, ce canal a été rénové avec l’aide de spécialistes du patrimoine et en partie remis en eau en 2015. Il est aujourd’hui le corps et l’âme d’un superbe itinéraire balisé, bien entretenu mais particulièrement aérien sur une partie de son parcours.
Tout débute au lieu-dit des Plans-Mayens. À moins de préférer prendre le chemin à rebrousse-poil, à partir du lac de barrage de Tseuzier (1’778 m) — desservi par le car de fin juin à début novembre. Dans un sens : 440 m de dénivelé positif et 160 m négatif (3 h 30-4 h 30). Ou inversement (2 h 30-3 h 15), avec quelques suées en moins. 12 km, en tout cas.
Bercé par les glouglous de l’eau qui s’écoule, léchant la pierre ou les gouttières de bois, le sentier s’extirpe lentement des grands sapins à force de passerelles. D’un côté, la falaise moussue enfle, forçant par moments les randonneurs à se courber pour franchir ses auvents de pierre. De l’autre, c’est le vide qui, peu à peu, se creuse derrière les troncs. Rien d’insurmontable : la sensation d’avancer tout au long d’un interminable balcon, derrière le garde-fou de solides palissades lorsque cela s’avère nécessaire.
Plus haut, des cascatelles, visibles et invisibles, enveloppent de leur musique et de leur fraîcheur. Le chemin s’étrécit encore, jusqu’à survoler le vide dans une forte sensation de vertige. La spectaculaire passerelle métallique suspendue du Bisse du Ro (124 m), franchissant une gorge haute de 70 m, marque la mi-parcours. Le début de la fin, aussi. Restent quelques vertiges entre cascade et éboulis, à l’abri tout relatif de cordes fluettes, puis 1 h 30 de marche environ à travers une forêt clairsemée jusqu’aux rives du magnifique lac de Tseuzier, emmitouflé dans ses montagnes et ses nuages.
Entre cascades et panoramas, Le Tsittoret
À peine plus récent (XVe s), le bisse du Tsittoret, tantôt discret tantôt fougueux, canalise les eaux de la Tièche vers le délicieux alpage de Colombire et au-delà. Au menu : forêts de mélèzes, jolies cascades doublées d’escaliers de bois, escale savoureuse à la buvette de la Cave du Sex (pour ses fromages) et, avec un peu de chance, des panoramas fabuleux sur la Couronne Impériale dressée de l’autre côté du sillon de la vallée du Rhône — Weisshorn, Zinalrothorn, Ober Gabelhorn, Cervin et Dent-Blanche. Les options ne manquent pas : simple montée jusqu’aux chutes depuis Colombireet retour (2 h), itinéraire complet depuis Vermala avec redescente vers Aminona (3 h-4 h), ou journée complète prolongée par la longue ascension du très minéral Trubelstock (2’998 m) par le col de la Roue. Enivrant.