Tempo engagé

Entretien avec Charlotte de Senarclens

Texte
Yannick Nardin
Copyright
Grégory Maillot
Parution
Hiver 2024-2025

Historienne de l’art, très investie dans le rayonnement culturel de Genève, Charlotte de Senarclensassure depuis 2021 la présidence du Conseil de Fondation de l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR). Sa force? Un «engagement total» au profit de cet orchestre symphonique de renommée internationale, fondé en 1918.

Capitale internationale, place financière, ville universitaire et de recherche, cité d’histoire et de culture… Genève joue sur de nombreuses gammes. Que représente pour vous le fait d’être genevoise ? Je suis fière de mes racines et je mesure ma chance de pouvoir jouer un rôle dans la pérennité d’une institution culturelle qui fait briller Genève. La notion d’attachement à ce canton revêt pour moi une dimension essentielle, dans toutes mes actions depuis dix ans. Au-delà de l’aspect culturel, aujourd’hui au centre de mon engagement, l’ensemble de ce qui a trait à son développement me tient à cœur.

Pourquoi vous engager pour la culture?
J’aime l’art sous toutes ses formes. Il fait partie de notre humanité, permet d’éprouver de nombreuses émotions et de ressentir la beauté. La musique « vivante » spécialement, les moments d’écoute dans une salle, en communion avec le public, me sont particulièrement chers.

Comment appréhendez-vous votre rôle en tant que présidente du Conseil de Fondation?
L’OSR est une institution centenaire, façonnée par de nombreuses personnalités. Je m’inscris dans cette longue histoire. Mon rôle est de permettre au Conseil de prendre les bonnes orientations, en soutien à la direction. Je crée le lien avec les mécènes, les donateurs et les sponsors, ainsi qu’avec la sphère politique. J’espère donner à l’orchestre le sentiment que le Conseil lui procure les moyens dont il a besoin pour exceller.

Je m’engage toujours de façon totale. Pour être pertinente, je fais en sorte d’avoir une connaissance aussi étendue que possible du quotidien de l’OSR. J’assiste pratiquement à tous les concerts et accompagne l’orchestre lorsqu’il se déplace ; cela me permet de comprendre mieux encore le métier des musiciens et donc leurs attentes et préoccupations.

Êtes-vous une sorte de chef d’orchestre pour le Conseil de Fondation?
L’OSR a déjà un chef d’orchestre (rires) ! Mais, dans un sens, je vous rejoins : il s’agit de savoir écouter, mais aussi de pouvoir trancher et assumer les décisions 

Vous avez été réélue à l’unanimité. À quoi attribuez-vous ce succès?
Je suis très touchée et émue par cette marque de confiance, mais aussi consciente de la grande responsabilité qu’elle implique. J’imagine que le Conseil a perçu mon attachement, ma disponibilité et mon engagement. 

Je pense aussi apporter une forme de sérénité, dont je ne suis pas la seule actrice, puisque l’orchestre se porte particulièrement bien : les salles sont pleines et la vente d’abonnements culmine. Forts de cette fidélité du public, les musiciens poussent encore davantage leur niveau de performance. 

Le projet de Cité de la Musique, conçu comme un lieu de résidence pour l’OSR, a été abandonné en 2021, peu après le début de votre présidence. Comment l’OSR a-t-il rebondi ?

Cet abandon a généré beaucoup de tristesse, mais nous avons dépassé ce refus pour continuer à fournir à l’OSR les moyens de remplir sa mission. Et plusieurs petits — immenses ! — miracles se sont succédé. Un immeuble en location s’est libéré à côté du Victoria Hall… Nous avons obtenu l’autorisation de percer une porte et de faire communiquer les deux bâtiments, et un mécène a soutenu le projet ! Tous les artistes qui se produisent au Victoria Hall ont gagné en confort grâce à l’espace accru et à une logistique simplifiée.

Comment l’orchestre, centenaire, reste-t-il en phase avec son temps?
L’OSR continue de mettre en valeur le répertoire classique, tout en sortant des sentiers battus pour fidéliser un public différent. Nous touchons notamment 20’000 jeunes Genevois chaque année à travers des activités scolaires ou publiques — dont les « Concerts en famille » dès 7 ans et les « Concerts pour petites oreilles » dès 4 ans. 

Nous avons développé le Festival de l’OSR, en août, à la piscine de Genève-Plage, et proposons des ciné-concerts. Nous renforçons aussi nos collaborations avec des partenaires locaux, par exemple avec le festival « Les Créatives ». Je crois énormément à cette diversification. 

L’OSR a même joué un concert diffusé par hologramme.
Nous devons ce type d’initiatives innovantes à notre directeur général, Steve Roger, qui gère l’aspect opérationnel de l’OSR. Il foisonne d’idées et nous aide à nous projeter dans le futur ! L’hologramme permet de se produire pour un public autrement privé d’accès à la musique classique. L’innovation fait partie de l’ADN de l’OSR : en précurseur, il a été le premier orchestre à enregistrer en stéréophonie dans les années 50.

Autre évolution dans l’air du temps, l’OSR a réservé le poste de cheffe assistante aux seules candidatures féminines. Pourquoi?
Nous sommes partis du constat mathématique que les femmes sont peu représentées dans la direction d’orchestre. Si nous ne pouvons changer la réalité d’aujourd’hui, nous pouvons influencer le paysage de demain. Il s’agit, selon moi, d’un moyen habile pour favoriser l’équilibre, mais aussi de créer des liens entre l’OSR et des artistes de talent, sur la durée.

osr.ch