
La Suisse, écrin du nouveau nomadisme
L’art de marier liberté professionnelle et grand air
Le nomadisme a le vent en poupe depuis quelques années — et plus encore depuis la pandémie. Beaucoup y ont trouvé l’impulsion d’adopter ce mode de vie hybride, entre une matinée à trader en Birkenstock et une après-midi à surfer les cimes enneigées ! Un nouvel idéal de liberté ?
De Bali à Mexico en passant par Dubaï et Majorque… le monde a vu éclore en quelques années plusieurs sanctuaires du nomadisme. La promesse d’un bonheur plus plein, ailleurs. Une réponse aux envies de liberté retrouvée. À l’urgence ressentie par une « génération burn-out », soucieuse de se délester d’une routine mortifère, entre réorientation professionnelle et épiphanie de milieu de vie. En transcendant le fatalisme géographique, ces nomades numériques ont prouvé aux plus sceptiques qu’il était possible de combiner travail et plaisir.
Living the high life en montagne
Dans ce monde nouveau, la Suisse s’est imposée en destination de choix, promue écrin d’un nomadisme axé sur le grand air… Les stations d’altitude prisées comme Crans-Montana, Zermatt et Verbier ont vite compris la nécessité de répondre aux besoins de cette nouvelle population, en favorisant l’émergence de nouveaux cafés branchés et coworkings. Neil Beecroft, fondateur de PuraWorka, a vite décelé l’attrait que pouvait avoir la Suisse pour ces travailleurs on the go, en ouvrant le premier espace du genre à Zermatt, puis un autre à Sion, taillé pour une clientèle davantage corporative : « La Suisse offre un cadre exceptionnel pour les nomades digitaux, combinant qualité de vie, sécurité et paysages époustouflants. À Zermatt, notre espace se caractérise par une atmosphère détendue et orientée vers les activités outdoors, ce qui attire une communauté d’aventuriers et de créatifs à la recherche de sérénité et d’inspiration au cœur des Alpes. »
Neil Beecroft sait de quoi il parle. Exemple type du nomade numérique, pluriactif, il partage avec entrain son année entre le Valais, Lausanne, ses différents espaces de coworking et le Portugal, où il a pris l’habitude de combiner surf et travail dans le domaine de la durabilité des événements sportifs. Fort de son expérience personnelle, il note un engouement grandissant pour ce style de vie. « Depuis la crise sanitaire, nous avons constaté une hausse significative du nombre de nomades digitaux, une tendance qui a perduré même bien après la fin des restrictions. Ce mode de vie continue de séduire. La fréquentation de nos espaces a clairement augmenté entre 2021 et 2023, ce qui souligne l'attrait durable du travail flexible et nomade, adopté par de nombreuses personnes à long terme. »
D’autres pôles plus isolés se veulent plus méditatifs. C’est le cas de Lenk, où Andy Stofferis a créé une offre alliant coworking et coliving. Une manière de mettre en lien deux univers qu’il aime. Ce type de région, moins huppée et surtout habitée par des agriculteurs et producteurs locaux, bénéficie grandement de la présence des nomades digitaux, qui apportent un nouveau souffle.
Les attraits des capitales culturelles
La Suisse séduit aussi les amoureux de la vie urbaine. À cet égard, Zürich semble l’épicentre de ceux qui veulent conjuguer le meilleur des mondes, entre cœur battant de la finance et de la tech, culture du café bien ancrée et vies culturelle et nocturne trépidantes… La manière dont les nomades se massaient encore l’été dernier au bord du bassin de Seebad Enge, en maillot derrière leur laptop, rejoints par quelques télétravailleurs esquivant discrètement le bureau, nous confirme qu’ils ne tarissent pas de créativité pour ce qui est de (ré)concilier l’inconciliable !
À Genève, en dix ans, cafés spécialisés et espaces de coworking très en vue ont aussi émergé, se faisant les pôles d’un dynamisme d’un nouveau genre. Ici les très corporate Spaces Works, stratégiquement installés Quai de l’île, à Cornavin, aux Nations et dans l’éco-quartier de l’Étang, aux portes de l’aéroport. Là l’Impact Hub, plus funky, où la Wednesdays’s Sexy Salad a le mérite de fédérer autour d’un repas sain. Le Café Voisins, plus connu des Genevois de souche, accueille lui une population mixte de nomades, d’entrepreneurs et indépendants locaux.
Bâle l’alternative attire, elle, des nomades artsy : écrivains, digital designers et autres critiques d’art cherchant à réseauter dans les foires. Notre Berlin à nous.
Les nomades suisses à l’étranger : la grande évasion !
Le phénomène inverse existe bel et bien : de nombreux Suisses se sont eux aussi laissé tenter par l’aventure nomade hors de nos frontières, défiant les aléas du wifi à l’international pour prendre goût à ce rythme combinant une saison à la neige, puis une autre sous les cocotiers. C’est ce que Neil Beecroft constate à la lumière de la fréquentation de son troisième espace, de coliving, sur l’île de Lombok, au large de Bali — un éco-resort inauguré en plein Covid, dans une région où les Suisses sont légion. « Lombok se distingue par une atmosphère sereine, idéale pour les amateurs de surf, de yoga et de randonnée. Nous y accueillons une communauté diversifiée de nomades digitaux suisses qui évoluent souvent dans les domaines du développement web, du marketing digital et des professions créatives. »
Certains se sédentarisent dans leur pays d’accueil, faisant le bonheur de leurs proches restés en Europe en les conviant pour les vacances... D’autres y investissent, tout en maintenant un pied en Suisse. Nicolas Cheneve, patron de Magnitude Construction, une entreprise spécialisée dans l’aménagement de villas de luxe clé en main dans la région d’Ubud, à Bali, confirme : « La majorité de nos investisseurs sont des milléniaux issus des professions du numérique, parmi lesquels 30 % de Suisses ! »
Au-delà même des arguments rationnels, ces nomades convertis aux charmes de leur terre d'accueil semblent nous donner une leçon tacite sur le bonheur et le courage qu'il requiert… Être loin de ceux qui nous ont vu grandir, braver les solitudes, retrouver ses marques… Broutilles, en vérité, face à l’urgence de ceux qui cherchent à vivre leurs rêves pendant qu’il en est encore temps.