La Genève Internationale

L’art de vivre à l’échelle mondiale

Texte
Yannick Nardin
Copyright
Genève Tourisme
Parution
Été 2023

Une monumentale chaise à trois pieds plantée devant une allée de drapeaux du monde entier, quantité d’ONGs et de voitures diplomatiques, des quartiers bouclés pour visites stratégiques, des clubs et des supermarchés où l’on parle l’anglais… mais surtout, une extraordinaire tradition d’engagement en faveur de la paix et de l’humanité. Aucun doute, l’ADN de Genève est profondément international. Décryptage d’une ville qui pulse au rythme du globe.

La création du CICR il y a 160 ans marque le début de la métamorphose humanitaire et internationale de Genève. Elle se développe considérablement au sortir de la Première Guerre mondiale, puis se diversifie selon les problématiques émergentes. En matière de gouvernance planétaire, la « Suisse internationale par Genève », comme la nomme le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), devient incontournable et, bientôt, la Cité de Calvin joue avec les plus grands sur l’échiquier mondial, accueillant réunions et décisions à impact global.

Quelques chiffres s’imposent… et en imposent! Aujourd’hui,
pas moins de 750 ONGs et 52 organisations internationales sont implantées en ville, ainsi que les missions permanentes de 179 états. Ces entités drainent quantité de fonctionnaires internationaux, diplomates et représentants de la société civile — environ 32’000 — qui, en retour, ont contribué et contribuent toujours à façonner la ville en profondeur, impactant l’urbanisme comme la culture locale. Avec toujours, en filigrane, ces valeurs qui sous-tendent l’action internationale : paix et engagement en faveur de l’humanité.

La révolution humanitaire
Convaincre les gouvernements de secourir les soldats blessés, amis ou ennemis — quel changement de perspective ! Et pourtant, c’est bien ce que professe le Genevois Henry Dunant, choqué par les horreurs de la bataille de Solferino (1859), en Lombardie. Une première réunion a lieu à Genève en février 1863 : les prémices du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). L’action, Dunant en est convaincu, doit avoir lieu sur le terrain : il propose donc de créer des sociétés nationales de secours, et même de seconder les services médicaux militaires. Le comité parvient in fine à décider les représentants des gouvernements à adopter, en août 1864, la Ire Convention de Genève. Les armées des pays signataires ont désormais l’obligation de soigner tous les soldats blessés, quel que soit leur camp. Sur le champ de bataille, l’emblème de la croix rouge sur fond blanc distingue dès lors ces services médicaux d’un nouveau genre. Cette véritable révolution humanitaire plante les premières graines d’une longue tradition genevoise.

Durant la Première Guerre mondiale, le CICR affirme son rôle-clé. En 1919, sur décision des pays vainqueurs, Genève devient le siège du BIT (Bureau international du travail) et, surtout, de la Société des Nations — prélude à l’installation du siège européen de l’ONU en 1945. Dès 1927, l’Institut des Hautes Études Internationales (HEI) ouvre ses portes. Un document de la cérémonie d’ouverture relate : « À la Société des Nations, on fait non seulement des humanités, mais de l’humanité ! L’étudiant comprendra cet énorme travail et pourra servir la grande œuvre de la paix ».

Palpitante diplomatie
Instrument précieux et plateforme de première importance pour la politique extérieure de la Suisse, la Genève internationale est étroitement liée au rôle de médiateur du pays dans la diplomatie mondiale. Ainsi, fait peu connu, lors de la Révolution iranienne de 1979 et la prise d’otages de 52 diplomates et personnels de l’ambassade américaine de Téhéran qui s’ensuivit, la Confédération endossa-t-elle le rôle de représentant des intérêts américains en Iran par l’intermédiaire de son ambassadeur dans le pays, Erik Lang — qui s’improvisa « facteur » entre Washington et le chargé d’affaires américain retenu captif. Le président américain Jimmy Carter le consulta avant ses conférences de presse, ainsi que l’ambassadeur suisse à Washington, Franz Muheim. Cette action valut à la Suisse le mandat des « bons offices », défini dans la charte des Nations Unies comme toute « initiative diplomatique ou humanitaire entreprise par un pays tiers ou une institution neutre dans le but de résoudre ou de surmonter un conflit bilatéral ou international. »

Des rencontres électriques
Haut lieu de la diplomatie caractérisé par la neutralité suisse, Genève a vu signer des documents majeurs, à commencer par les traités des Conventions de Genève de 1949, qui ont posé les bases du droit humanitaire international. Mais la ville a aussi été le théâtre de rendez-vous politiques essentiels, notamment entre trois des présidents américains (Carter, Bush et Clinton) et leur homonyme syrien, Hafez el-Assad, pour tenter de démêler l’imbroglio moyen-oriental. En 1985, à Genève toujours, Reagan et Gorbatchev s’efforcèrent d’en finir avec la dangereuse course aux armements (nucléaires). Un moment historique scellé par une poignée de mains — un tournant particulièrement important dans les relations internationales. Pour l’événement, 3’000 journalistes séjournèrent à Genève et la réputation d’hôte de la ville et de la Suisse s’en trouva renforcée.

Plus récemment, en 2021, la cité a accueilli Joe Biden et Vladimir Poutine, dans un contexte de sécurité maximale. Le parc de la Grange fut pour l’occasion entièrement barbelé et tout le quartier attenant bouclé, avec bateaux militaires sur le lac et tanks à terre ! L’occasion, surtout, d’une prise de contact pour, selon les mots de Poutine à la télévision russe, « rétablir [les] relations personnelles [avec Joe Biden, qui l’avait traité publiquement de « tueur »], améliorer le dialogue direct, créer des mécanismes fonctionnels sur les sujets d’intérêt commun ».

Une compétence attire l’autre
La singularité de la Genève internationale s’étend bien au-delà de l’action diplomatique et humanitaire. Étroitement connectée aux problématiques globales, la ville s’est affirmée comme pôle de compétence en matière de paix, de sécurité et de désarmement, d’action et de droit humanitaire, de droits de l’homme et de migrations, mais aussi de droit du travail, d’économie, de commerce, de science et de télécommunications, de santé, d’environnement et de développement durable. Le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) s’est établi en périphérie en 1954 et y a enfanté le web en 1989. Le Forum économique mondial (WEF) y possède depuis 1973 ses superbes quartiers surplombant le lac à Cologny. La cause écologique a aussi trouvé à Genève un terreau fertile. Pour présenter en 1987 devant l’assemblée générale des Nations Unies le rapport Brundtland, qui inaugura le terme de « développement durable » et fut à l’origine du premier Sommet de la Terre, la commission procéda à de nombreuses auditions à Genève — d’ONGs, de gouvernements, de civils sur les questions relatives au développement et à l’environnement telles que forêt, énergie, agriculture et transfert de technologies. Puis, en 1988, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) s’est installé en ville.

Aujourd’hui, ce sont les nouveaux acteurs du domaine de la santé qui profitent du pôle de compétences de la Genève internationale, comme l’alliance GAVI, créée pour faciliter l’accès à la vaccination des enfants vivant dans les pays les plus pauvres du monde, ou la DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative), qui encourage la recherche sur les maladies tropicales négligées.

Urbanisme international
Situé à l’entrée nord de la ville, à proximité de l’aéroport de Cointrin, le quartier des Nations s’est développé dès 1926 avec l’arrivée du BIT (Bureau International du Travail) au centre William Rappard. Premier bâtiment à être construit pour les organisations internationales à Genève, l’édifice accueille aujourd’hui le siège de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Le Palais des Nations a pour sa part été bâti en 1936, précédant l’apparition du Centre International de Conférences de Genève (CICG) en 1973 et, plus récemment, du Campus de la Santé mondiale (2018).

Parmi les lieux incontournables à visiter à Genève, la vaste Place des Nations s’étend devant la longue allée de drapeaux menant à l’entrée de l’ONU. Cette singulière esplanade, désormais coincée entre des axes routiers hautement fréquentés et des voies de bus et de trams, n’en conserve pas moins une position stratégique et accueille de fréquentes manifestations. Une chaise monumentale haute de 12 m, la « Broken Chair », s’y tient sur trois pieds, le quatrième brisé. Commandée par Handicap International à l’artiste Daniel Berset, cette œuvre en bois de 5,5 tonnes symbolise le refus des mines anti-personnel et des armes à sous-munitions. Elle incarne aussi l’appel de la société civile — révoltée par les horreurs de la guerre — aux chefs d’États en visite à Genève.

Art de vivre: l’impulsion des «expats»
Quelque 32’000 fonctionnaires internationaux vivent à Genève, auxquels s’ajoute une foule d’expatriés séduits par la réputation de la Cité de Calvin en tant que centre universitaire et de recherche, mais aussi en tant que pôle économique hébergeant de nombreuses multinationales. Forte d’une longue tradition bancaire, et de son rôle important dans le négoce et le financement du commerce mondial — avec 500 sociétés de trading —, Genève attire une multitude de talents venus de tous les horizons. Leur influence se retrouve partout, notamment dans l’éducation, favorisant la dynamique des écoles privées, qui offrent l’accès à des programmes scolaires étrangers. En 2020, ils étaient 8’500 élèves non-nationaux à les fréquenter (65 % des effectifs inscrits en école privée).

Toute cette population aux goûts d’ailleurs donne aussi l’impulsion nécessaire au développement de loisirs bien spécifiques. En ville, mieux vaut parler l’anglais pour s’adonner à certains hobbies ! Officieusement devenu la seconde langue de la ville, il permet de communiquer avec l’importante population non-francophone — que ce soit dans les clubs de sport comme Holmes Place, dans les studios de yoga, ou encore dans les centres de CrossFit. Certains lieux attirent tout particulièrement les expatriés, à l’image du club de frisbee ! Très apprécié dans les universités du monde entier, il continue à être pratiqué à Genève par des doctorants, des avocats en droit international, des fonctionnaires internationaux ou des chercheurs du CERN !

Outre le quartier des ONGs, deux autres secteurs de la ville vivent sur un tempo international. Cologny, où de nombreux VIP et VVIP venus des quatre coins du globe ont établi leur « base » de luxe. Mais surtout Les Pâquis, le plus multiculturel, stratégiquement situé entre le lac et les quartiers des ONGs et du Sécheron. Expatriés, fonctionnaires internationaux, étudiants et Genevois de père en fils s’y côtoient pour une baignade ou un sauna aux Bains des Pâquis, une promenade le long du lac et dans les parcs, ou pour goûter aux innombrables saveurs proposées par les tables des environs. En toute paix et humanité, évidemment !