Du vent dans les voiles

Genève sur le chemin de la Coupe de l’America

Texte
Claude Hervé-Bazin
Copyright
Loris Von Siebenthal | Mario Schoby, Red Bull Content Pool | Samo Vidic, Alinghi Red Bull Racing
Parution
Été 2023

Une mer calme n’a jamais fait un bon marin, prétend l’expression… Mais faut-il vraiment un océan pour faire un grand navigateur? Le Léman semble suffire. Genève a beau être encadrée de montagnes, ici aussi, on sait tirer un bord et affaler une voile.

Tout commence en 1872, avec la fondation de la Société Nautique de Genève. Ses membres se consacrent d’abord à l’aviron et aux fêtes sur l’eau à l’italienne, organisées au cœur de la rade. Puis quelques bateaux à moteur et des voiles surgissent. La plaisance prend son essor avec la Section de la Voile, créée en 1903 et bientôt rebaptisée Cercle de la Voile.

Au début des années 1930, la SNG jette l’ancre au Port-Noir, à touche-touche avec les nouvelles installations de Genève-Plage — elle y est toujours, dans son édifice un rien Art Déco, à deux pas de la piscine olympique, face à une marina passée au fil du temps de 200 à 1’000 places. Au milieu des années 1960, le yachting léger s’y implante, favorisant l’émergence d’une quatrième section à la SNG. Monocoques, multicoques, le Léman voit débarquer et embarquer de drôles de bateaux, plus habitués à l’air iodé.

La plus grande régate lacustre du monde
Excellence et performance sportive, voilà l’ADN de la SNG. Plus de 150 ans après sa fondation, cette institution est devenue la principale société nautique de Suisse, forte de plus de 4’000 membres. Un club privé très select, où l’on ne rentre que par cooptation.

Un club aux grandes ambitions, aussi, qui organise notamment la Translémanique en solitaire (26 août), la Semaine de la Voile (26-30 juin) et le Bol d’Or Mirabaud (9-11 juin). Événement phare de la Nautique depuis… 1939, financièrement soutenu par la banque Mirabaud et l’horloger Tudor (en partenariat avec l’Hôtel InterContinental de Genève), le BOM est la plus importante régate en bassin fermé de la planète ! Réunissant un panel des meilleurs marins du monde, il a encore attiré en 2022 plus de 400 participants. Des locaux, à l’image du sorcier du lac Christian Wahl, sept fois vainqueur de l’épreuve, barrant le Ville de Genève en compagnie de jeunes formés au CER (Centre d’Entraînement à la Régate) local. Des invités prestigieux à la barbe dégoulinant d’embruns, comme Loïck Perron. Des multicoques. Des monocoques de tout poil. Des OVNI, aussi. Car, oui, le Bol d’Or est plus qu’une course. C’est un catalyseur, un laboratoire où les ambitions démesurées de vélocité des architectes navals et des ingénieurs se confrontent à la réalité. En 2022, ce furent les nouveaux catamarans à foils TF35, volant, grâce à un coup de vent tardif, à 25 nœuds vers le coup de canon final…

Le laboratoire de l’excellence
Voilà un moment, en vérité, que le Léman joue les laboratoires de la voile. L’aventure Alinghi en atteste. Lancé dans les années 1990 par l’homme d’affaires suisse Ernesto Bertarelli, un passionné, le team Alinghi a aligné lui aussi 7 victoires au Bol d’Or Mirabaud. Mais il a surtout réussi l’exploit de devenir le premier équipage européen à remporter la mythique Coupe de l’America — le plus ancien trophée de l’histoire du sport, décerné tous les quatre ans seulement. Non pas une, mais deux fois, coup sur coup, en 2003 et 2007 ! Ce doublé a favorisé l’émergence d’une nouvelle génération de skippers suisses, qui pointent désormais parmi les meilleurs mondiaux.

Bertarelli et ses hommes comptent bien rééditer l’exploit en 2024 à Barcelone pour la 37e édition de la Coupe. En partenariat étroit avec Red Bull Racing et avec le soutien doublement fervent de l’horloger Tudor, le team Alinghi sera drivé cette fois par l’Autrichien Hans-Peter Steinacher, double champion olympique sur Tornado au début des années 2000, passé ensuite à la voile volante en tant que leader de la Red Bull Extreme Sailing Team dans le cadre des spectaculaires et regrettées Extreme Sailing Series. Les priorités de Herr Steinacher ? S’appuyer sur cette nouvelle génération de skippers suisses maîtrisant les secrets des foils en général et des monocoques AC75 en particulier — apparus lors de l’édition 2021. Le nouveau protocole laisse entrevoir des Formule 1 des mers allégées, aux foils plus larges permettant un envol plus précoce et des pointes jusqu’à 52 nœuds ! Tout l’enjeu est là, aujourd’hui : gagner encore en vitesse, à fleur d’eau… et faire flotter haut, une nouvelle fois, l’étendard de la Société Nautique de Genève.

nautique.ch
boldormirabaud.ch
alinghi.com