De Genève pour le Monde

WEF : une capacité exceptionnelle à réunir les leaders mondiaux

Texte
Philippe D. Monnier
Copyright
World Economic Forum (WEF)
Parution
Hiver 2023-2024

Bien que son événement phare ait lieu à Davos, le Forum économique mondial (WEF) est clairement ancré à Genève, qui lui offre à la fois la forte présence de nombreuses organisations internationales et les avantages d’une économie libérale. Cette fondation créée il y a 52 ans se considère même comme une ancienne start-up genevoise.

Chaque mois de janvier, une cinquantaine de chefs d’États et de gouvernements, une septantaine de dirigeants d’entreprises de la liste « Fortune 100 » et de nombreux leaders de tous bords se retrouvent à Davos pour la réunion annuelle du Forum économique mondial (WEF). Si l’événement est célèbre, peu savent, précisément, à quoi œuvre le WEF.

Créée en 1971 à Genève par le Professeur Klaus Schwab dans l’optique de sensibiliser les chefs d’entreprises aux pratiques de management à l’américaine eu Europe, l’organisation, unique en son genre, n’a cessé de prendre de l’ampleur, jusqu’à devenir l’un des principaux lieux de discussions économiques, sociales et politiques de la planète. Son but officiel, désormais : « améliorer l’état du monde ». Un vaste programme au chemin semé de défis, qui a vu ses domaines d’activités connaître une expansion significative, sous la conduite de son fondateur et « Executive Chairman » de toujours, Klaus Schwab. C’est dans ce contexte qu’helvet a interviewé son fils, Olivier Schwab, « Managing Director » du WEF. Issu de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’homme a rejoint le Forum en 2010, après un début de carrière notamment au sein du groupe Schindler.

Le WEF a été créé à Genève en 1971. Pourquoi avoir choisi ce canton? Le choix s’est fait tout naturellement car, à cette époque, notre fondateur, le Professeur Schwab, enseignait à l’Université de Genève. Il n’est d’ailleurs pas faux d’affirmer que le Forum est une ancienne start-up genevoise puisque, au tout début, il n’y avait que lui et sa future femme ! De plus, Genève offre deux atouts de taille : une approche libérale envers l’entrepreneuriat et la présence d’une multitude d’organisations internationales.

La neutralité suisse, parfois critiquée, reste-t-elle un atout? Non seulement son importance reste entière mais, en plus, nous la considérons comme un modèle à suivre pour l’ensemble de nos activités, en particulier dans un monde tellement polarisé.

Quels sont vos rapports avec les autorités genevoises? Ces rapports ont toujours été très positifs. Dans une phase initiale, le Forum a même reçu un soutien financier de la Banque Cantonale de Genève. Les autorités genevoises sont systématiquement représentées à nos réunions annuelles à Davos ; en janvier 2023, nous avons accueilli Nathalie Fontanet (Conseillère d’État) et Marie Barbey-Chappuis (alors Maire de Genève). Sur un tout autre plan, le Forum vient de recevoir un prix spécial du jury dans le cadre des Grands Prix de l’économie genevoise !

Les principaux événements du WEF se tiennent hors de Genève, notamment à Davos. La ville du bout du lac n’a-t-elle jamais été candidate pour ces grandes réunions? Nous avons toujours souhaité organiser nos réunions annuelles dans un petit village reculé, en l’occurrence à Davos. En optant pour un tel lieu dans les Alpes grisonnes, les participants sont encouragés à se concentrer sur nos forums plutôt qu’à s’adonner à d’autres activités dans une métropole. C’est ce que nous appelons aujourd’hui « l’esprit de Davos ».

Au fil des années, le WEF a mis sur pied une série d’antennes à l’étranger… Oui, actuellement, nous disposons de nos propres antennes à New York, San Francisco, Beijing (Pékin) et Tokyo. En plus, nous soutenons et collaborons avec une série d’antennes externes. Notre fondation emploie environ 1’000 personnes, y compris 350 employés détachés par leurs organisations pour travailler au sein du Forum. Étant donné notre taille et le caractère planétaire de nos activités, il est normal que nous ayons diverses présences à l’étranger. Cela étant, 80 % de nos employés restent basés à Genève, où demeurera notre siège.

Avec quelles organisations internationales basées à Genève travaillez-vous en priorité? Que leur apportez-vous? Nous collaborons intensément avec une multitude d’organisations internationales, notamment l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous sommes également très impliqués dans les travaux préparatoires de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP). Les partenaires naturels de ce type d’organisations internationales sont les gouvernements ; le Forum leur apporte une véritable dimension multipartite en impliquant le secteur privé, la société civile et le monde académique.

Le WEF est financé par ses membres du secteur privé. Parmi ces derniers, est-ce que les entreprises suisses sont bien représentées? Plus d’une dizaine de conglomérats suisses comptent parmi notre centaine de « Strategic Partners », désignant les entreprises mondiales qui sont le plus impliquées dans nos activités et nous financent à hauteur de 600’000 francs par an et par entreprise. En tout, 800 entreprises financent le Forum ; un tiers d’entre elles est basé en Europe, un tiers en Amérique du Nord et le dernier tiers dans le reste du monde — nous cherchons d’ailleurs à accroître ce troisième tiers.

En 2018, le WEF a été officiellement désigné «organisation internationale de coopération public-privé» par la Confédération suisse. Quels avantages en avez-vous retirés? Ce nouveau statut a renforcé notre reconnaissance auprès de nos États partenaires, même si notre réputation était déjà bien établie avant cette désignation. L’obtention de ce statut n’a pas été simple car le soutien de nombreux pays était une condition sine qua non. Pour l’heure, seul le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Forum en bénéficient.

C’est également pour renforcer notre reconnaissance que nous avons signé en 2019 un accord de partenariat avec les Nations Unies ; cette initiative vise à accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.

Le but officiel du WEF est «d’améliorer l’état du monde». Comment mesurez-vous votre degré de succès? Un critère essentiel est l’engagement général et financier de nos membres du secteur privé. Un autre élément important est la confiance que nous témoignent nos autres partenaires, notamment les gouvernements, les académiciens, les représentants de la société civile, etc. Pour le Forum, il est essentiel que tous ces acteurs clés continuent à participer activement à ses diverses activités. Notre succès se mesure aussi aux nombreuses initiatives lancées dans le cadre de nos réunions et parfois incubées dans notre organisation.

Quelques exemples d’initiatives lancées à Davos? Je peux citer l’ « Alliance of CEO Climate Leaders », c’est-à-dire une communauté de 120 CEOs déterminés à accélérer la transition vers une économie nette zéro. Je pense aussi à la « First Movers Coalition » (la Coalition des précurseurs) : il s’agit de 65 grandes entreprises — dont beaucoup font partie de la liste Fortune 100 — qui se sont engagées à accroître d’une manière significative la durabilité de leurs chaînes d’approvisionnement.

Le WEF a beaucoup évolué au fil des années. Quelles ont été les principales étapes de votre développement? Initialement, nous étions un organisateur de conférences internationales. Ensuite, nous avons rajouté la cocréation de contenu, la gestion de communautés, la cogestion de projets pilotes ainsi que l’incubation d’initiatives comme celles mentionnées précédemment.

Avec tous les voyages que vous faites à travers le monde, gardez-vous un lien personnel fort avec Genève? Bien évidemment ! Je suis né et j’ai grandi à Genève et je considère ce canton comme mon chez-moi. Malgré sa taille moyenne, Genève a énormément à offrir à ses habitants, notamment en termes d’offre culinaire, qui ne cesse de s’améliorer. Néanmoins, mon activité préférée est de me rendre aux festivités de l’Escalade avec mes enfants.

Votre fondateur, le Professeur Klaus Schwab, dirige le WEF depuis plus de cinquante ans. Le jour où il décidera de se mettre en retrait, à quels changements fondamentaux vous attendez-vous? Le Forum a mis en place une gestion professionnelle et stable. En plus du Conseil de fondation, présidé par Klaus Schwab, nous avons un Comité de direction, présidé par Børge Brende. Ce dernier réalise un travail exceptionnel. Durant cette dernière décennie, le Conseil de fondation est devenu de plus en plus actif, notamment avec la mise sur pied de sous-comités activement impliqués dans la définition de notre stratégie.

La succession d’un fondateur comme le Professeur Klaus Schwab n’est pas pour autant un sujet anodin… En effet. Néanmoins, je suis persuadé que, le moment venu, le Conseil de fondation sera parfaitement à même de gérer au mieux cette succession. En tout cas, nous n’avons aucun souci à nous faire quant à des changements radicaux de direction ou un délaissement d’initiatives clés.

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