Chocolats

Une passion genevoise

Texte
Yannick Nardin
Copyright
Guillaume Cottancin
Parution
Hiver 2023-2024

Si les seuls cacaoyers de Genève se cachent dans la moiteur des serres des Conservatoire et jardin botaniques, les spécialistes genevois du chocolat ont largement contribué, en deux siècles, à façonner et perpétuer cette tradition hautement helvétique. Emblématiques « pavés » et « marmites » côtoient des créations de haute facture, nées d’un soupçon de folie et de beaucoup de passion.

« Ce fut l’an mil six cent et deux, Qu’on vit ces Savoyards furieux, (…) Ah ! la belle Escalade, Savoyard, Savoyard » Ce refrain, probablement le plus enseigné dans les écoles genevoises, évoque un fait historique marquant : la nuit du 11 au 12 décembre 1602, la cité de Calvin repoussa l’assaut des belliqueux voisins, notamment grâce à la Mère Royaume qui, dit la légende, protégea les remparts en y déversant une marmite de soupe brûlante… Depuis, la tradition veut qu’à cette date anniversaire, on brise et se délecte de marmites en chocolat — entre autres festivités. L’occasion, pour les chocolatiers genevois, d’exprimer tout leur savoir-faire à travers moult interprétations de ces récipients gourmands débordant de friandises en pâte d’amande et douceurs. La coutume ne date pas d’hier. Voilà même deux bons siècles que les maisons de chocolat genevoises raffinent leurs créations avec Martel fondé à Carouge dès 1818 et Favarger, né à Genève en 1826.

Pavés, princesses et… poubelles?
Tout aussi emblématiques de l’art consommé du chocolat genevois, les « pavés » ne possèdent, quant à eux, aucun lien avec un quelconque évènement de 1968… Ces carrés gourmands saupoudrés de cacao tirent leur origine d’une recette mise au point en 1936 à la confiserie Rangel, transmise à la maison Rohr, qui les fabrique toujours tels qu’à l’origine. La chocolaterie Rohr est d’ailleurs l’initiatrice d’une autre étonnante création locale : les « poubelles genevoises », dont la coque en chocolat renferme un moelleux cœur truffé. Avec son nom de baptême autrement plus chic, l’« Amande Princesse » est née à la chocolaterie Auer avant de figurer en bonne place chez d’autres enseignes de la ville. Elle associe amandes grillées et caramélisées à une robe de chocolat au lait saupoudrée de cacao.

Un gourmand averti en vaut deux
Spécialité séculaire de la ville, le chocolat se décline à l’envi dans la cité. Un « Choco Pass » permet ainsi de déguster des « assiettes » composées par les soins des meilleurs et plus incontournables chocolatiers locaux. Le sésame ouvre en grand les présentoirs de Stettler & Castrischer, de Du Rhône, de La Bonbonnière, de Favarger, de Zeller, de Guillaume Bichet, de Canonica et de Sweetzerland Chocolatier. L’occasion d’une belle promenade… digestive. L’une de ces enseignes, La Bonbonnière, reprise en 2016 par des passionnés, a par ailleurs ouvert une « École du chocolat » proposant de nombreux ateliers à thème.

Le cacao se déguste aussi d’une façon plus rituelle, lors de cérémonies mystiques proposées par des yogis de la ville… Parmi ses nombreuses vertus, le cacao ouvrirait à la spiritualité et favoriserait la relaxation grâce à sa haute concentration en sérotonine, selon des rituels inspirés par les pratiques des civilisations méso-amérindiennes.

Mais voici que la voie du chocolat se poursuit hors de la ville. Dans la campagne genevoise d’abord, à Satigny, où œuvre Orfève. Créée par deux amoureux (dans la vie et du chocolat) la marque fait figure d’exception, car elle en maîtrise la conception depuis la fève — qu’elle traque jusque sur ses terres d’origine. Sélection, torréfaction, concassage, conchage… Caroline et François-Xavier ont appris à dompter chaque étape de la fabrication du chocolat pour s’approcher de leur rêve : créer les meilleures tablettes du monde.

Au-delà, une halte à Perroy, village vaudois surplombant le lac Léman, se révèle tout aussi indispensable pour découvrir l’excellentissime chocolatier Tristan, un virtuose de la fève à la renommée internationale, d’ailleurs formé à Genève par Rohr. Pour compléter ce voyage en terres de cacao, direction Broc, dans la Gruyère, et la spectaculaire Fabrique de Chocolat Cailler. S’il ne s’agit plus ici d’artisanat depuis longtemps — la marque ayant littéralement conquis la planète —, la magie de la fabrication du chocolat suisse se vit sans demi-mesure grâce à une visite qui éveille l’entier des sens, avec permis de déguster.