Au sommet de Genève
Cent quarante mètres et des embruns
Signature visuelle de Genève, le grand jet d’eau arrosant la rade, culminant à 140 m de hauteur, est le plus ancien au monde. Un véritable monument liquide, né du hasard, qui symbolise aujourd’hui les ambitions et le dynamisme de la cité.
Douche garantie. Le parapluie n’y fait rien. Volatilisée en milliards de particules, l’eau devient nuée, enveloppe, imprègne, comme au cœur d’un Niagara urbain. Pour voir le jet d’eau de près, il faut risquer le torticolis. Dérouler la large jetée en bois, pour saisir toute la force de cette monstrueuse colonne d’eau et sentir les embruns s’accumuler. Un coup de vent et, hop, le panorama se transforme en cataracte.
À la fin du XIXe siècle, Genève est en plein boom industriel. La population augmente rapidement et les besoins aussi. Une usine hydraulique est alors bâtie sur le Rhône, à La Coulouvrenière, pour alimenter la cité et ses artisans en eau. D’un moment de la journée à l’autre, toutefois, la demande varie et, le soir, quand les ateliers ferment leurs portes, la surpression menace les tuyaux d’alimentation. Une solution originale est trouvée : une vanne libère le surplus sous pression… en formant un jet d’eau.
Le panache, qui s’élève alors à une trentaine de mètres, devient vite attraction. Et lorsque, quelques années plus tard, le jet perd son usage technique, il est décidé de le conserver. Il déménage toutefois, à l’extrémité de la jetée des Eaux-Vives, au cœur de la rade. Le voilà propulsé à 90 m de haut, avec quatre « branches » latérales (comme un arbre !) et bientôt éclairé pour célébrer, le 1er août 1891, les 600 ans de la Confédération.
En 1951 est installé un nouveau mécanisme — toujours en usage. Le jet, séparé du réseau d’eau potable, est désormais directement alimenté à la source du lac et culmine à… 140 m ! Un record, à raison de 7 tonnes d’eau et de microscopiques bulles d’air suspendues à tout instant. Joli, mais techniquement compliqué. Pour atteindre une telle hauteur, l’eau est projetée par une buse de 16 cm de diamètre, à près de 200 km/h et à raison de 500 litres par seconde, pour une culbute qui dure en tout et pour tout 16 secondes.
Fendant le ciel de son blanc halo du matin jusqu’en fin de soirée, le jet d’eau entre parfois en sommeil lorsque la bise ou le joran se font trop violents, ou que le mercure plonge sous le point de gel… au risque de se transformer en canon à neige ! Avant 2003, il hibernait même durant quatre mois. Seuls cinq hommes, tous retraités des Services Industriels de Genève — qui assurent les services essentiels de la ville —, ont ce pouvoir de décision. Seuls eux ont le droit d’allumer et d’éteindre l’incendie liquide.