Quand souffle la bise noire,
Genève sort les planches
Imprévisible, violente, souvent accompagnée de fortes précipitations, la bise noire s’abat certains hivers sur le lac Léman, redessinant les rives de ses tempêtes et de ses vagues. Des moments rares, captés par le photographe Loris Von Siebenthal.
2004, 2023, les années soumises aux grands assauts de la bise noire sont à marquer d’une pierre blanche. La moyenne est respectée : le phénomène atteint son paroxysme une fois tous les vingt ans environ, propulsant dans l’air glacé mais détrempé des vents pouvant atteindre 100 km/h en plaine et 140 km/h sur les crêtes. Pour les services de sécurité et les riverains, le constat est souvent amer : arbres cassés ou déracinés, toits et tuiles envolés, motos et échafaudages renversés, annulations des vols et des traversées du lac en bateau. Au plus fort, parfois, les rives se retrouvent entièrement emmaillotées de glace et de stalactites, quais, lampadaires, bateaux et véhicules compris !
Là où la bise « classique », soufflant du nord ou du nord-est, s’accompagne généralement d’un froid soleil, la bise noire, elle, est synonyme de plafond nuageux bas, chargé d’un air lourd en humidité remontant de la Méditerranée, qui contourne plus ou moins les Alpes pour finalement s’abattre, glacé, sur le Léman et le Jura. Cette anomalie climatique, qui survient surtout entre automne et fin d’hiver, voit souvent tomber certaines des plus grosses chutes de neige de l’année (50, 60 centimètres dans la journée). À raison d’épisodes durant systématiquement trois, six ou neuf jours, croyaient les anciens.
I wanna surf
Malgré ses sombres nuages, la bise noire prend pour les adeptes de la glisse une tout autre couleur… Ses vents puissants, mordants, forment, une fois n’est pas coutume, des vagues sur le Léman — en fond de rade du côté des quais, de Baby Plage ou de la jetée de Versoix notamment. Oh, rien de vraiment spectaculaire, en général, mais une belle occasion pour les Genevois de se jeter à la baille, combinaison bien zippée, pour une session urbaine aux relents très islandais. Dans un coin de tête, chacun y va du légendaire Big Thursday, ce fameux 13 février 2014, lorsqu’un swell d’1,50 m se forma dans le sillage du cyclone Tini, avec des rafales atteignant 80 nœuds (150 km/h)… Plus habituellement, il faut se contenter de 20, 25 voire 30 nœuds. De quoi, déjà, réussir à tenir quelques secondes debout sur la planche, et aussi de voir débarquer les kiteux. Frileux s’abstenir : la température du lac tourne autour de 8°C… Et puis, dans l’eau douce, on coule plus facilement !