Karine Bauzin

Fenêtres sur l’intimité, un regard curieux et bienveillant sur les hommes

Texte
Daniel Bauchervez
Copyright
Karine Bauzin
Parution
Été 2023

Leica en mains, la photographe Karine Bauzin explore les mondes que façonnent les humains à travers ses images exprimant états d’esprit, situations ou même vies entières. Dans la rue, les salles d’opération ou, comme ici, autour des cabanes de plage.

À 20 ans, à l’âge auquel la vie et les envies bouillonnent, Karine Bauzin subit une rupture d’anévrisme. « Je me suis retrouvée sans moyen de communiquer et, dans mon malheur, j’ai eu la chance de découvrir mon métier ! C’est ainsi que je me suis intéressée à la photographie. Idéal pour exprimer ma sensibilité à travers l’image tout en s’intéressant aux autres », se rappelle-t-elle.

L’ombre tutélaire de Raymond Depardon
À l’origine de cette réinvention, une rencontre « révélatrice » avec un monstre sacré : Raymond Depardon. Le photographe français, membre fondateur de l’agence Gamma — pépinière de talents des années 1970-1980 —, l’initie à la photographie de presse et au reportage social, en lui transmettant sa quête d’images « intenses dans leur simplicité et authenticité ». Peu à peu, l’excitant éphémère de l’actualité cède le pas au regard profond du reportage, travaillé au fil des semaines, des mois, des années. « Pour m’immerger plus intensément dans des projets, explorer différents angles et m’accorder du temps pour développer ma vision ». L’idée : s’éloigner de la dictature de l’instant, prendre du recul et affiner son regard sur le monde.

Travaillant largement « à l’instinct », Karine aime traquer les « signes d’absurdité de notre vie quotidienne ». Images décalées ? Esthétiques ? Peu importe, « il s’agit surtout de transmettre une émotion et d’interpeller. » Pas seulement de donner à voir, mais aussi de donner à ressentir. Naviguer sur l’océan des sentiments, en quête de ce qui relie les humains. Karine assume la dimension sociale de sa photographie. Une démarche concrétisée par son ralliement un temps à la jeune agence Regardirect, un collectif suisse fortement engagé dans la photographie documentaire.

« Le reportage sur le terrain permet d’avoir accès à des univers très variés, peu accessibles à la plupart des gens. Se plonger dans des mondes inconnus pousse encore plus ma curiosité et l’envie de partager des histoires singulières. Vivre et capturer des instants uniques me permet de côtoyer mille et une vies… C’est magique. »

Des projets tous azimuts
En couleur. En noir et blanc — l’outil le plus puissant pour révéler l’intime, dont le caractère intemporel offre « une tout autre dimension ». La preuve par Mémoires d’une pandémie, un documentaire coréalisé en 2022 avec Audrey Leclerc. À elle les interviews filmées en couleur, à Karine les portraits fixes en noir-blanc. « Pour raconter ce qui a bousculé notre vie affective, sociale et économique à tous. Pour laisser une trace. »

Parmi les projets de longue haleine entrepris par Karine, What time is it?, lancé il y a une décennie, s’intéresse à notre rapport au temps. « En photographiant des personnes qui me donnent l’heure, spontanément. » Au fil des ans, « la technologie a pris le dessus avec des montres connectées ou des téléphones comme moyen de se situer dans le temps », constate Karine. Une manière de retracer l’évolution de la société et de questionner ses urgences et ses temps morts — objet d’une exposition tout au long de l’été (1er juin au 10 septembre) à la Fondation de la Haute Horlogerie, au Pont de la Machine.

Volontiers humaniste, Karine explore deux autres projets en parallèle : l’un consacré aux urgences médicales ; l’autre plus léger mais pas moins profond, aux propriétaires de cabanes de plage — « une utopie sous forme d’oasis en milieu urbain ». À travers « leur attachement à ces 2 m3 », ce sont les liens sociaux et « l’universalité des rapports humains » qui sautent aux yeux. Un reportage couronné par le Swiss Press Photo Award 2023 (catégorie vie quotidienne) qui fera à terme l’objet d’un livre.

karinebauzin.ch