Tristan Carbonatto Un métier de gourmand
Un métier de gourmand
Leurs vitrines font saliver petits et grands, leurs créations pousser des oh d’émerveillement. Qui ça ? Les chocolatiers. Tombé dans la poudre de cacao dès l’école, Tristan Carbonatto en a fait un métier — vraiment — pas comme les autres.
Peut-on échapper au chocolat, quand on naît à Genève et que l’on grandit sur la Riviera vaudoise ? Tristan Carbonatto n’a pas réussi. Adolescent, le jeune homme hésite à filer en cuisine ou vers le laboratoire. Ce sera sucré, finalement. À la confiserie Boccard de Rolle, il apprend « la rigueur et l’amour du travail bien fait ». Puis intègre l’équipe du légendaire Hôtel de Ville de Crissier. Tout beau, tout bon, les défis sont constants, le rythme soutenu, mais les gestes rentrent et deviennent automatismes. Frédy Girardet, le Robuchon suisse, accumule les étoiles (Michelin), les points (Gault&Millau), les médailles et les récompenses. Un sacré exemple, taillé tout en rigueur et savoir-faire.
Fort désormais d’une « vision globale du métier, de la technique pure à la gestion de produits », Tristan décide de voler de ses propres ailes. En 1998, il ouvre sa première boutique à Bougy-Villars, sur les hauteurs de Rolle (Vaud). Le chocolatier empile les créations, sous l’œil approbateur de ses enfants, érigés en testeurs. En vedette, à la boutique : les truffes au whisky et au rhum. À la maison : « la crème à tartiner, élaborée à partir de noisettes du Piémont légèrement torréfiées, associées à du chocolat au lait ou noir », précise Tristan — un hit bientôt partagé avec la clientèle.
140 nuances de chocolat
On le retrouve aujourd’hui en contrebas, dans son vaste (700 m2 !) atelier-laboratoire-boutique de Perroy. Les gourmands y affluent la truffe au vent pour faire provision de truffes au caramel, de « rêves de noisette », de pralinés, de feuillantines, de rochers aux pistaches caramélisées et noisettes. La maison propose désormais quelque 140 spécialités, toutes exemptes de conservateurs et pur beurre de cacaos. Le « s » s’impose, tant le boss aime fureter parmi les crus provenant des quatre coins de la planète chocolat. Ses favoris ? « L’Équateur et le Ghana, pour leur identité forte ». Mais si la quête des meilleurs cacaos est centrale, celle des fruits secs et condiments est aussi essentielle : noisettes du Piémont et pistaches de Sicile sélectionnées en personne sur place, yuzu et thé vert matcha du Japon, vanille de Madagascar et même… piment de Perroy (!), Tristan ne retient que le meilleur. L’occasion « de comprendre les variétés, d’apprécier la richesse des terroirs et de tisser des liens d’amitié et de confiance avec les producteurs. »
Des ronds, des carrés, des biscornus, les chocolats de Tristan prennent mille-et-une formes. « L’inspiration est partout, dans les voyages, les rencontres, les lectures », les idées surgies en pleine nuit et vite notées. Il faut tenir compte de l’évolution des goûts : « davantage d’intensité, moins de sucre » désormais. Et ne jamais perdre de vue l’essentiel : l’harmonie. « L’originalité pour l’originalité n’a aucun sens, si le plaisir n’est pas au rendez-vous », précise Tristan Carbonatto. Mais comment être sûr ? « Parfois, une idée prend forme immédiatement. Parfois, il faut dix, vingt essais pour atteindre l’équilibre parfait. En fait, le plus dur, c’est de savoir s’arrêter, de se dire ‘c’est bon, là, on y est’ ! »
Un matériau noble et protéiforme
Pour certaines commandes, plus que de savoir-faire, on parlera de défi. Une pièce montée tout en chocolat pour un mariage ? Banco. Un Taj Mahal en chocolat ? Pourquoi pas ? Le chocolatier conçoit au besoin des moules, toute l’équipe se partageant ensuite le patient assemblage des éléments — « un travail d’orfèvre ».
« Le chocolat est d’une plasticité incroyable, magique ; on peut le sculpter, le mouler, le marier à une infinité de saveurs. Par contre, c’est un matériau fragile, sensible à la température… » Pour la conservation, le transport et plus encore la conception, « le climat idéal, c’est une météo stable entre 18° et 20°C, précise Tristan Carbonatto. En été, il faut travailler avec un contrôle climatique strict. Chaque canicule nous met à l’épreuve ! Nous avons investi dans des équipements spécifiques et adapté nos horaires, mais c’est un vrai combat à chaque vague de chaleur ! »
Au fil du temps, la liste des clients s’est allongée, incluant de nombreuses personnalités, chefs d’État et cours royales, à commencer par la famille impériale japonaise. Un honneur et… beaucoup de pression en même temps. Heureusement, pour combattre le stress, il n’y a rien de mieux que le chocolat. Un favori ? « Un simple carreau de noir grand cru dégusté lentement, mon péché mignon », répond sans hésiter Tristan Carbonatto.