Swissquote — L’avènement d’une banque « Notre région est bénie des Dieux »
« Notre région est bénie des Dieux »
Diplômé de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Marc Bürki a co-fondé en 1996 la banque en ligne Swissquote. Il revient pour helvet sur cette grande aventure.
Fort d’un certain charisme et d’un bon relationnel, boulimique de ses propres mots, traversé par 1001 idées chaque jour et par une envie d’ubiquité, impatient… Marc Bürki se décrit comme un modèle d’entrepreneur, aux qualités miroirs de ses défauts.
En 1990, il fonde avec Paolo Buzzi, comme lui ingénieur diplômé de l’EPFL, une entreprise dédiée à la création de logiciels et applications web spécialisés dans la finance. Six ans plus tard, Swissquote voit le jour. Entrée en bourse dès l’an 2000, l’entreprise connaît une croissance fulgurante, attirant un nombre sans cesse croissant d’investisseurs privés et institutionnels — et s’impose aujourd’hui comme le leader suisse de la banque en ligne. Élargissant sa gamme de produits et étendant sa présence à l’international au fil du temps, elle dispose désormais de 11 bureaux à travers le monde, 1’134 employés et plus de 500’000 clients, pour un chiffre d’affaires de CHF 531 millions, un bénéfice avant impôts de CHF 255 millions et des avoirs clients atteignant CHF 58 milliards. C’est dans son siège à Gland que Marc Bürki, CEO de Swissquote, a reçu helvet.
2023 a été une excellente année pour Swissquote. À qui prenez-vous des parts de marché ?
Notre progression de l’année 2023 est en partie attribuable aux taux d’intérêt normalisés. Néanmoins, en Suisse, nous avons réussi à capter des parts de marché des grandes banques et, dans une moindre mesure, des banques cantonales. À l’international, par exemple à Dubaï, un nombre important d’expatriés ont choisi d’utiliser la plate-forme Swissquote au détriment des banques d’affaires internationales. Le fruit de notre engagement à offrir des services de qualité presque comparables à ceux des grandes banques, mais à un tiers de leur prix.
Dans quels domaines prévoyez-vous une forte croissance ?
Il y a trois ans, en tant que banque spécialisée dans les investissements, nous n’étions généralement pas l’établissement principal de nos clients. Mais nous avons décidé de redéfinir notre stratégie pour devenir une « banque de tous les jours », gestion des comptes salaires inclus. Pour cela, nous avons élargi notre gamme de services pour proposer diverses méthodes de paiement — telles que les cartes de crédit et de débit —, ainsi que des prêts, notamment hypothécaires. Cette diversification a attiré une nouvelle clientèle et engendré une croissance soutenue qui devrait se poursuivre. De plus, en collaboration avec PostFinance, nous avons lancé l’application mobile Yuh, qui permet de payer, épargner et investir ; avec plus de 200’000 clients et CHF 5 milliards déposés, c’est aujourd’hui la première application fintech en Suisse.
Parlez-nous de votre développement à l’étranger
Nous sommes actuellement implantés dans neuf autres pays. En 2023, pour la première fois, nos clients internationaux ont généré une part de notre chiffre d’affaires net supérieure à celle de nos clients résidant en Suisse. Le potentiel de croissance à l’international demeure considérable, même si notre gamme de services est plus limitée à l’étranger, à l’exception notable du Luxembourg.
Prévoyez-vous de poursuivre votre politique d’acquisitions ?
Avec une valorisation de CHF 4 milliards et un excellent ratio de fonds propres dépassant les 25 %, nous sommes idéalement positionnés pour poursuivre notre stratégie d’acquisitions. Nous envisageons ainsi d’acheter d’autres entreprises en utilisant nos fonds propres excédentaires ou en levant du capital, mais restons très sélectifs sur nos cibles, les acquisitions ayant pour but principal d’accélérer notre croissance.
Où en sera Swissquote dans dix ans ?
Notre premier objectif est d’atteindre un bénéfice avant impôts de CHF 350 millions d’ici 2025 et nous sommes sur la bonne voie pour y parvenir. Dans une décennie, nous aurons très probablement considérablement grandi et notre présence internationale sera bien plus marquée. Je pense que nous resterons indépendants, car cela fait partie de notre identité.
Du point de vue des produits, je prévois une augmentation de l’instantanéité dans le monde de l’investissement, avec par exemple des bourses ouvertes en continu et une utilisation beaucoup plus poussée de l’intelligence artificielle.
Comment voyez-vous le développement des ICO (Initial Coin Offering), de la blockchain et des cryptomonnaies ?
Concernant les ICO, après deux tentatives peu fructueuses, je reste sceptique, surtout pour les PME locales à actionnariat restreint et bien défini. Je ne perçois pas de bénéfices à remplacer les actions classiques par l’émission de jetons (tokens). En revanche, mon enthousiasme pour la technologie blockchain et les cryptomonnaies demeure intact. C’est pourquoi nous avons choisi d’élargir notre offre de services dans ce secteur, malgré le scepticisme des dernières années. Les développements récents confirment la pertinence de notre approche.
Que pensez-vous des conditions-cadres dans la région lémano-genevoise ?
Le panorama de notre région est unique et, pour les entreprises, les conditions-cadres sont hautement favorables. Cela inclut le dynamisme du bassin lémanique, la proximité de l’EPFL et la facilité de dialogue avec les autorités. Le taux d’imposition sur les bénéfices, aux alentours de 14 %, est raisonnable, même si la fiscalité des personnes physiques souffre de la concurrence avec les cantons de Suisse centrale. Les opportunités de formation et la sécurité sont également excellentes. Bref, j’ai vraiment l’impression que notre région est bénie des Dieux. C’est cette attractivité qui nous permet d’attirer des talents de calibre, tels que notre nouveau Chief Operating Officer, Nestor Verriez.
Parlez-nous de votre tour de 16 étages en construction à Gland
Avec 700 employés, notre siège actuel a atteint sa capacité maximale. Actuellement 150 employés supplémentaires se répartissent dans des bureaux externes temporaires. Le projet de la nouvelle tour vise à réunir tout le monde sur un même site et fournir l’espace nécessaire pour accueillir de nouveaux collaborateurs indispensables pour gérer l’augmentation de notre clientèle. Toutefois, le défi réside dans la durée des travaux de construction, estimée à trois ans pour les nouveaux locaux et deux ans pour la rénovation des anciens. Déjà qu’il nous a fallu cinq ans pour obtenir un permis de construire !
Il y a quelques années, vous disposiez d’un centre de codage à Kiev. Qu’en est-il advenu ?
Nous avons dû fermer ce centre de codage, mais la résilience de certains anciens employés, qui sont au front et continuent de nous envoyer du code, est admirable. Nous avons depuis mis sur pied notre propre centre de technologie à Bucarest, une région riche en ingénieurs.
Si vous aviez 30 ans aujourd’hui, dans quel domaine est-ce que vous lanceriez une nouvelle entreprise ?
Dans la robotique, non pas dans le but de faire fortune, mais parce que les évolutions sont spectaculaires. Je suis convaincu que, dans une cinquantaine d’années, de nombreux robots interactifs équipés d’intelligence artificielle feront partie intégrante de notre quotidien. Je pense non seulement aux robots humanoïdes, mais aussi aux assistants virtuels, aux véhicules autonomes et à d’autres innovations similaires.