Genève, au fil de l’eau

Lac, fleuve et au-delà

Autor
Claude Hervé-Bazin
Urheberrechte ©
Genève Tourisme
Veröffentlichung
Été 2023

Stratégiquement établie au débouché du Léman dans le Rhône, Genève s’est très tôt faite lieu d’échanges. Échange de biens, d’abord. Puis d’idées. De quoi faire d’elle une ville tolérante, une ville-monde, cosmopolite et conquérante.

Vu d’avion, il est déjà là, dans sa grande baignoire coincée entre Alpes et Jura. Lac de Genève ou lac Léman ? Appropriation ! râlent les Vaudois et les Savoyards, jaloux de leurs mètres cubes. Lake Geneva disent pourtant les Anglais, mettant la ville au premier plan. Genfersee renchérissent les Germaniques. Une chose est sûre : on évitera de dire lac Léman. Redondant. N’en déplaise aux Romains, « léman » signifie déjà « lac »… Mais tout ça, c’est du celte !

Lacus Lemanus
À chacun son océan. Pour Genève, le Léman, c’est déjà la mer, le sel en moins. Une mer intérieure de 581,3 km2, atteignant une profondeur bien supérieure à celle de la Manche (309,7 m). Plus grand lac d’Europe de l’Ouest, le Léman est si vaste qu’il subit même des marées, certes limitées, de 4 mm… Côté canton de Genève, on se concentre sur le bout étroit, le Petit-lac, ainsi défini par opposition au Grand-lac étendu au-delà de Nyon, plus large et profond — longtemps appelé « lac de Lausanne », histoire de tout compliquer…

Pour le fantasque Rabelais, c’est le géant Gargantua qui le creusa pour étancher sa soif. Les géologues s’inscrivent en faux. Le Léman, c’est un souvenir, disent-ils. Le souvenir du phénoménal glacier du Rhône qui, il y a 15’000 ans, recouvrait encore l’actuel emplacement de la ville de quelque 700 m de séracs ! Si la physionomie des lieux a bien changé, cette grande cuvette de 89 km3 est encore alimentée aux trois-quarts par le fleuve — qui y pénètre au sortir du Valais pour en ressortir à Genève avant d’entamer sa longue course française vers la Méditerranée.

Un océan de possibilités
Est-ce déjà le cœur de ville ou son séduisant préambule ? Là où s’achève le Léman se creuse la rade de Genève. Un entonnoir, délimité rive droite (côté palaces) par la jetée des Bains des Pâquis et, rive gauche (côté jet d’eau), par celle du port-plage des Eaux-Vives. Navettes lacustres des mouettes genevoises, vapeurs historiques et bateaux de la CGN, barques du Léman, bateaux-taxis, voiliers et catamarans, tout ce qui flotte barbote dans ce chaudron-là. Sans oublier les pierres du Niton, deux blocs de granite émergés, déposés par le glacier il y a une bonne dizaine de millénaires, sans doute descendus du mont Blanc !

Bains au nord, plages au sud, on se baigne. On se promène aussi sur les larges quais, butinant de terrasse en terrasse, en compagnie des goélands, des cygnes et des canards. À la belle saison, les lieux éphémères resurgissent, dans une ambiance bon enfant et souvent musicale. Verre en main, on zyeute déjà le Jardin Anglais et son iconique Horloge fleurie — symbole de la tradition horlogère genevoise. Séquoia, magnolia et tulipier y font la cour à une fontaine de 1863 dument placée sous le signe de Neptune. Dans l’axe, la vieille ville s’agrippe à sa colline. C’est sur ce roc, ce pic, cette péninsule, à l’abri des eaux, que la Genève médiévale a grandi, autour de sa cathédrale. Vus du sommet des 157 marches menant au clocher, 1 million de Genevois occupent l’espace.

L’exutoire
Genève, en gaulois, c’est « l’embouchure ». En ligure, « l’endroit de l’eau ». Beaucoup d’eau a coulé sous le pont du Mont-Blanc depuis sa première version en tôle, lancée là en 1862. Voilà l’exutoire. Une frontière, en quelque sorte. D’un côté le lac, de l’autre le Rhône, avec l’île Rousseau pour témoin ; un confetti caréné de béton, étrave face au courant, où un bouquet de platanes fait de l’ombre au célèbre philosophe (Jean-Jacques), « citoyen de Genève ». Une passerelle y mène depuis le pont des Bergues, réservé aux piétons. À l’automne, des milliers d’étourneaux crèchent là à grand bruit, en chemin vers le Sud, eux aussi.

En aval, le fleuve avale un ancien banc de sable, depuis longtemps construit, simplement baptisé L’Île. Jules César y détruisit un pont en 58 avant J.-C. pour empêcher le passage des Helvètes. Bien d’autres ont poussé depuis, dans cette zone longtemps industrieuse. Suivent l’ancien Bâtiment des Forces Motrices, qui donna vie au premier jet d’eau genevois, puis le barrage du Seujet, avec écluse, échelle à poissons et… passe à castors (!).

Le Sentier du Rhône se déroule peu après, rive gauche, à l’abri du trafic. La chlorophylle y chasse peu à peu le béton. Bancs, gazon et barbecues invitent à l’escale, sur fond de graffs, pieds dans l’eau — une eau turquoise et limpide, pleine de promesses. Les jours de canicule, certains osent le plouf et dérivent sur de grosses bouées. Mais voilà déjà la pointe de La Jonction : Rhône à tribord, Arve à bâbord, au lit trouble et glacé, qui jette son froid. Au-delà, 12 km de méandres se déroulent jusqu’au barrage de Verbois. Fuligules morillons, renards, blaireaux et martins-pêcheurs, Genève y retrouve un vrai goût de nature.

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