
Crans-Montana Le goût de l’altitude
Le goût de l’altitude
Des pâturages d’origine aux pistes qui en ont fait un eldorado du ski, des mayens d’autrefois à la ville alpine fashionable qu’elle est devenue, Crans-Montana déroule une histoire modelée par la volonté d’hommes et de femmes entreprenants partageant un même amour de la montagne.
Il était une fois un plateau tourné au Sud, survolant le large sillon de la vallée du Rhône. En contrebas, Sierre, au moins deux fois millénaire, et ses vignobles gorgés de soleil. Au-dessus, les alpages et les sommets des Alpes Bernoises, cachant à l’œil la mer de séracs de la Plaine Morte — parmi les plus vastes glaciers-plateaux de la chaîne.
Le décor est planté. Oscillant entre 1’400 m et 1’500 m d’altitude, le Haut-Plateau déroule des arpents où la pente est loin d’être absente. Ce pays de paysans, pays de mayens (chalets d’altitude), ne vécut longtemps qu’au printemps et à l’automne, lorsque hommes et vaches y séjournaient, entre villages et alpages. Une migration verticale, immémoriale, inaltérable : hiver en bas, été en haut, sans compter les allers et retours vers les vignes et les expéditions en altitude pour aménager et réparer les bisses (chenaux d’irrigation). Noble Contrée et Louable Contrée, disait-on jadis — allusion probable au climat clément.
Les montagnes réinventées
À l’aube des années 1890, deux Valaisans d’en bas, Michel Zufferey et son beau-frère Louis Antille, tombent sous le charme du Haut-Plateau lors d’une partie de chasse. L’heure est au développement du tourisme. Depuis plus d’un demi-siècle, les voyageurs, britanniques et français d’abord, ont peint du Valais un portrait romantique de paradis perdu. Les toiles de Turner ont enfoncé le clou et la conquête du Cervin renforcé l’envie de la bourgeoisie urbaine de se confronter à l’enivrante sauvagerie des montagnes. Le train fait déjà escale en gare de Sierre et va bientôt rejoindre l’Italie par le Simplon, dont on creuse le tunnel.
En 1893, l’Hôtel du Parc est ainsi inauguré au-dessus de Montana. On s’y hisse à dos de mulet ou en chaise à porteurs depuis Corin, portant fièrement redingotes ou om-
brelles. Trois ans plus tard, une route à péage est aménagée. À quelques encablures, des artistes se regroupent à Savièse autour de Raphaël Ritz et d’Ernest Biéler, sublimant sur leurs toiles paysages montagneux et paysans montagnards. L’heure est au pittoresque, à la redécouverte d’une authenticité idéalisée, préservée des influences néfastes de la plaine et des villes. Bientôt, le peintre Albert Muret s’installera à Lens et représentera le Haut-Plateau.
L’essor de la station de cure
Un jour de 1896, Michel Zufferey voit débarquer chez lui un médecin phtisiologue de Leysin « un peu fou », le Dr Théodore Stephani, en quête d’un lieu moins brumeux où installer ses tuberculeux. Soleil et bon air, vents limités, le Haut-Plateau l’enchante. L’astre luit ici plus que partout ailleurs au pays : 2’200 heures par an, affirme bientôt le bon docteur dans la Revue médicale de la Suisse romande.
Une dizaine de patients rejoint l’Hôtel du Parc, où Stephani fait installer le chauffage central et Zufferey la première ligne téléphonique du Valais — alors même que les habitants du Haut-Plateau et du bourg de Lens, 300 m en contrebas, vivent encore chichement, en autarcie presque complète. Le Dr Stephani fait accepter « l’industrie des étrangers » en soignant tous les malades du coin. Mais la coexistence est parfois houleuse… notamment entre tuberculeux et premiers touristes, qui craignent la contagion.
C’est ainsi que, fin 1899, des investisseurs genevois financent la construction du sanatorium de Beauregard (vite reconverti en hôtel-palace Bellevue). Le panorama sur les 4’000 m des Alpes valaisannes aide à guérir, c’est certain. D’autres sanas sortent de terre, puis l’Hôtel Forest à Vermala. L’année suivante (1905), la Société de Développement de Montana (SDM), réunissant les principaux acteurs de la jeune station, obtient de la commune de Lens un moratoire interdisant pour 50 ans la construction d’autres hôtels.
Sanatoriums et pensions de cure se multiplient néanmoins — les meilleurs avec « téléphone et eau courante dans toutes les chambres, salles de bains nombreuses, ascenseur et forêt de sapins idéale pour la cure d’air ». En 1911, le funiculaire Sierre-Montana-Vermala, le plus long de Suisse (4,2 km), réduit de trois heures le temps de trajet jusqu’à la station !
Un ADN sportif
Sir Henry Lunn, tombé en pamoison devant les prairies fleuries du plateau, rachète le Bellevue. En 1906, les greens du premier 9-trous remplacent les pâturages ; neuf autres s’ajouteront deux ans plus tard. Le golf est relancé après-guerre par Élisée et Albert Bonvin. Originaires de Chermignon, anciens concierges au Ritz parisien, les compères ont fondé en 1914 l’Hôtel du Golf et des Sports, avec plage et piscine — le premier de Crans, que l’on n’appelle pas encore ainsi. D’autres suivront, encouragés par la création en 1928 de la Société de Développement de Crans (SDC). À Montana les malades, à Crans les sportifs…
Arnold Lunn, fils d’Henry, lance en 1911 la première compétition de ski du Haut-Plateau : The Lord Roberts of Kandahar Cup Challenge. Une sacrée course, de La Plaine Morte jusqu’en station, remportée en… 1 heure et 1 minute ! La section Montana-Vermala du CAS est fondée en 1920, précédant l’inauguration de la cabane des Violettes, puis du premier ski-club dans les années 1930. L’étonnant funiluge, transportant une vingtaine de skieursd’un coup, a alors déjà cédé la place aux remonte-pentes. Des têtes couronnées belges, néerlandaises, portugaises, puis italiennes, fréquentent Montana-Crans (comme on l’appelle alors), contribuant à placer la villégiature sur la carte des lieux qui comptent. Léopold III se fait même construire un chalet. En 1939, l’Open Suisse s’installe sur le parcours de l’actuel golf Severiano-Ballesteros, pour n’en plus repartir. Intellectuels et vedettes du grand écran suivent.
La légende est établie. Après-guerre, les sociétés de remontées mécaniques se développent et la pratique du ski alpin explose. Pour la station, les championnats du monde de la discipline en 1987 sont à marquer d’une pierre blanche : l’équipe de Suisse y décroche huit titres mondiaux sur dix ! L’urbanisme reconfigure peu à peu les lieux, fusionnant visuellement Crans et Montana — à défaut d’intégration politique pleine et entière. Prochaine étape majeure : les Championnats du Monde de ski 2027.